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Le mouvement des femmes face à la question,Dialogue avec Noushin Ahmadi Khorasani et Parastou Dokouhaki /Shiva Rouholamini
lundi 17 mai 2010, par
Le texte qui suit prend la forme d’un dialogue d’idées à distance au sujet du
rapport du mouvement des femmes aux élections en Iran au cours des vingt
dernières années.
Noushin Ahmadi Khorasani est une féministe et auteure iranienne qui
collabore à plusieurs journaux et publications féminins et féministes. Elle est
l’une des fondatrices du Centre cultuel des femmes et l’éditeur du site L’école
féministe1 et l’une des instigatrices de la campagne Un million de signatures2.
Cette campagne, menée depuis 2006 par des activistes pour les droits des
femmes et également connue sous le nom Changement pour l’égalité,
cherche à recueillir un million de signatures à une demande visant à mettre fin
à certaines discriminations législatives à l’encontre des femmes iraniennes.
Cinquante membres de la campagne, dont Noushin Ahmadi Khorasani, ont
été arrêtés pour leurs activités.
L’analyse que livre Noushin Ahmadi Khorasani dans cet entretien est discutée
par Parastou Dokouhaki, journaliste et bloggeuse3 de Téhéran spécialiste des
questions féminines, qui apporte certains éclairages utiles à la compréhension
de cette problématique d’actualité qu’est le mouvement des femmes en Iran.
***
L’évolution du mouvement des femmes dans le domaine légal, en fonction
des périodes électorales
Noushin Ahmadi Khorasani : Les actions solidaires féminines et les luttes
des femmes dans le domaine légal, désignées sous le nom de mouvement
des femmes en Iran, ont connu une renaissance dans les années 90. Après
les événements inattendus de la révolution de 1978 et la perte de beaucoup
des droits acquis, le mouvement des femmes réapparaît dans les années 90
et suit une évolution que nous avons répartie en quatre périodes, dont la
dernière renvoie à l’état actuel du mouvement. La catégorisation ou la
périodisation de l’évolution des luttes des femmes dans le domaine légal, Ã
laquelle se consacre ce texte, est principalement « formelle  ». Elle facilite
l’étude des difficultés, des hauts et des bas qu’ont connus ces luttes. Les
quatre « périodes  » du mouvement correspondent aux quatre périodes
d’élections présidentielles en Iran et se penchent sur la manière dont ces
événements politiques ont été traités par les activistes du mouvement des
femmes. Avant les dixièmes élections présidentielles, celles du 12 juin 2009,
et la réaction peu unie de la part du mouvement des femmes que cet
événement bouleversant a suscitée, le mouvement avait eu à faire face à trois
élections (présidentielles) déterminantes. Tenant compte des conditions
politiques en cours, et de l’autorité et de l’influence du mouvement, les
réactions de ce dernier ont été à la mesure de son potentiel et de ses
capacités internes.
Commentaire de Parastou Dokouhaki : Les luttes féministes en Iran se
concentrent clairement sur les revendications légales. Cette attention est
davantage le résultat des circonstances qu’un choix libre et délibéré de la part
des activistes féministes. Les questions sociales et culturelles sont liées à des
questions religieuses et la religion n’existe presque pas en tant que sujet de
débat en dehors de sa version étatique. Il est donc difficile pour les féministes
de s’attaquer à de telles questions sans dépasser des lignes rouges. Le
mouvement des femmes manque également d’effectif et de capacité pour
pouvoir travailler de manière efficace à des questions culturelles sur le terrain.
Avec un grand nombre de volontaires qui sont des étudiantes socialement
actives, le mouvement des femmes paraît leur laisser implicitement la tâche
d’être les ambassadrices des valeurs féministes dans leurs villes et villages
d’origine, de manière indirecte. Pour le reste, le domaine légal demeure le
terrain le plus facilement accessible pour les organisations attachées au
mouvement des femmes, malgré toutes les difficultés auxquelles elles doivent
faire face afin de faire avancer leurs demandes. Les féministes sont
« obligées  » de négocier et de marchander au cas par cas chaque texte de
loi, et les succès ne sont pas si nombreux. Pourtant, le domaine légal a
l’avantage naturel d’offrir aux féministes un cadre précis et des textes
circonscris comme objets de débat.
Les élections de 1997 : période de maturité et de refondation de la structure
du mouvement des femmes
Noushin Ahmadi Khorasani : L’élection présidentielle de 1997, qui a conduit
Seyed Mohamad Khatami et les réformistes au pouvoir, a été un événement
politique déterminant pour la société iranienne. À la veille de ces élections, le
mouvement des femmes s’applique doucement à façonner et à établir ses
bases, ses principes et sa propre littérature. Durant cette période historique, le
mouvement essaie de se réinventer peu à peu, en dehors des cadres du
pouvoir officiel et des discours dominants de la société iranienne. N’ayant pas
encore la cohésion et l’autonomie nécessaires pour une action indépendante
et efficace, le mouvement d’alors ne peut pas présenter ses revendications et
ses demandes légales de manière conséquente dans le climat politique des
campagnes électorales. Nous, les femmes iraniennes, avons donc agi
individuellement durant les élections de 1997. En l’absence d’institution et de
porte-parole dans la société civile, nous avons réussi à influencer les élections
sans même que des discussions structurées, claires et sérieuses à propos
des droits distincts des femmes ne soient menées.
Le rôle des femmes et des jeunes dans l’élection présidentielle de 1997 et
dans la victoire de Khatami a été l’un des sujets de débats les plus fascinants
dans les analyses politiques et médiatiques de l’époque. En vérité, le
mouvement des femmes, encore trop jeune, n’a pas alors réussi à faire
profiter les femmes, de manière structurée et indépendante, de la période
électorale. Ce n’est que graduellement, au cours des huit années durant
lesquelles les réformateurs furent au pouvoir (1997-2005), que le mouvement
des femmes tira habilement parti du changement de climat social instauré par
l’élection de Khatami et profita d’une certaine ouverture pour réussir Ã
développer ses institutions et sa littérature avec une vitesse considérable.
Pendant que l’activité des réformateurs au pouvoir était à son plus fort et que
leurs débats politiques fervents occupaient, aux côtés des affrontements entre
ailes politiques, tout l’espace médiatique, nous, les divers groupes et
organisations de femmes, avons réussi, calmement et sans bruit, à former un
vrai « mouvement  » et à devenir graduellement influents dans la société civile.
Les élections de 2005 : période de la présence autonome du mouvement des
femmes (dans le domaine légal)
Noushin Ahmadi Khorasani : Le mouvement des femmes avait donc profité
du climat plutôt ouvert des huit dernières années qui ont précédé les élections
présidentielles de 2005- élections elles aussi déterminantes. Avec une habilité
brillante et reconnue, il avait réussi à mettre en place des institutions plutôt
fortes. Mais il faut aussi avouer qu’il n’était pas encore capable de se frayer
une place dans le discours politique dominant en tant que « force sociale
influente  », ni de présenter ses revendications légales. C’est pourquoi le
mouvement des femmes a développé sa propre façon d’entrer dans les jeux
électoraux, selon ses capacités. Il est toutefois difficile d‘évaluer précisément
le potentiel, l’aptitude et le pouvoir du mouvement, et sa capacité à influencer
les activistes sociaux et politiques durant cette période (électorale). En effet,
le pouvoir et les ressources n’étaient ni homogènes ni de la même nature
d’une organisation à l’autre, et le mouvement était représenté par des
tendances et des profils divers. Un exemple flagrant de cette multitude
d’intérêts peut être observé dans le Groupe de réflexion commune des
activistes du mouvement des femmes. Dès le départ, beaucoup de
désaccords internes existaient au sujet de l’implication dans des questions
politiques et du fait d’y exercer une influence, surtout quand il s’agissait d’une
question aussi sensible que celle des élections.
Au début du printemps 2005, à la veille (trois mois avant) des élections
présidentielles, période où souvent le climat politique est plus ouvert et où
toutes les forces sociales et tous les partis politiques sont actifs d’une manière
ou d’une autre, nous, diverses organisations du mouvement des femmes qui
étions réunies dans le « groupe de réflexion commune  », avons réfléchi à la
possibilité d’agir collectivement dans une action qui pourrait nous rapprocher,
nous, les femmes du mouvement qui défendions « des changements en
faveur des femmes  », qui pourrait aussi pérenniser nos coopérations malgré
nos différences de visions et d’intérêts, et qui pourrait enfin avoir un plus
grand effet sur l’opinion publique.
Les options qui s’offraient pour des actions féminines indépendantes dans le
climat électoral étaient limitées. La première possibilité était de soutenir l’aile
politique qui était connue comme étant la plus démocrate, c’est-à -dire les
réformateurs. Ce choix paraissait logique, car il est évident que, plus le climat
politique est ouvert, à travers la présence des forces centristes dans la
structure politique, plus les conditions sont favorables au progrès de la cause
sociale et culturelle des femmes et d’autres mouvements de revendication. La
deuxième possibilité était de saisir l’opportunité créée par le cadre et le climat
politiques plus ouverts d’avant les élections, et d’utiliser, par des voies nonviolentes,
les ressources légales existantes afin, dans la mesure de nos
capacités communes, de présenter nos revendications spécifiques à une plus grande échelle au sein de la population, sans tenir un propos direct sur les
élections. La troisième possibilité était d’ignorer la situation électorale,
comme si aucun événement politique n’était prévu, et donc de reporter toute
action à un moment intense et final : au jour promis, jour de la révolution.
Commentaire de Parastou Dokouhaki : La distinction entre deux types
d’approches chez les féministes est plus visible depuis quelques années. La
campagne « Un million de signatures  » a réussi à rassembler et à informer la
population, mais les activistes en ont tiré des expériences qui les ont menées
à avoir des réactions opposées. Les féministes actives dans la campagne se
disent influencées par leur expérience, dont elles ont tiré un nouveau regard
sur la société iranienne et ses problèmes. Mais tandis que certaines préfèrent
aujourd’hui faire du lobbying et négocier avec les autorités pour faire avancersi peu que ce soit le respect des droits des femmes, et ne refusent pas de
faire des concessions, d’autres refusent de marchander leurs principes et
préfèrent rédiger un texte de loi idéal, le faire connaître et y concentrer leurs
efforts
Noushin Ahmadi Khorasani : Nous avons comme exemple l’expérience de
celles des amies qui, dans l’espoir d’une grande action foudroyante, attendent
sans réagir. Comment, où et grâce à quelles personnes expertes et
expérimentées ces changements profonds vont-ils pouvoir se réaliser ? Cela
n’est pas clair. Selon elles, nous devrions laisser de côté le changement et les
réformes graduelles, et attendre « le jour promis  » : le jour de l’action, le jour
de l’apocalypse, ce jour, différent des autres, qui bouleversera l’Iran et nous
mènera vers le salut. Pourtant la plupart des activistes féministes ne pensent
pas en ces termes, elles continuent une lutte sociale et culturelle depuis des années, en se basant sur les principes de non-violence avec des méthodes
créatives, afin d’atteindre des objectifs modestes et concrets dans leurs vies
de tous les jours.
Pendant les élections de 2005, nous devions choisir la possibilité
« concevable  » et « faisable  », qui serait en même temps « efficace  » pour
nous aider à atteindre nos droits. Cette action devait également pouvoir nous
donner, Ã nous femmes, plus de ressources et de pouvoir et nous apprendre
à compter sur nos forces pour initier des changements dans l’avenir. Enfin,
nous avions à apprendre à être autonomes, et surtout, à faire l’exercice de
saisir intelligemment le momentum historique et les occasions offertes par le
climat politique iranien. Ainsi, la présidence d’un candidat plus modéré aurait
certes été à notre avantage ; toutefois, étant donné que le mouvement des
femmes était fort de l’intérieur uniquement, et avait investi pour se doter de
ressources, mais qu’il n’avait pas encore présenté et diffusé son discours
égalitaire chez le grand public, son entrée directe dans les jeux électoraux
pouvait présenter un risque dangereux, qui pouvait entraîner son élimination
des équations politiques. Durant cette période, et compte tenu des conditions
politiques, premièrement, beaucoup de groupes sociaux « réformateurs  »
étaient déçus ; deuxièmement, les réformateurs n’avaient pas présenté de
candidat « adapté et approprié  » qui s’attirerait un soutien unanime ;
troisièmement, le climat national et international présentait tous les signes
indiquant que l’on ne pouvait pas espérer le succès de forces d’opposition
indépendantes, dites gheyr-e khodi4. La prise en compte de ces éléments
indiquait que le mouvement des femmes qui n’était pas encore assez influent,
qui ne disposait pas d’entrée directe et n’avait pas défini ses frontières
fondamentales vis-à -vis du discours officiel des élections, ne pourrait
probablement pas être effectif et tourner le climat « froid  » du moment au
profit des « intérêts et revendications des femmes  » ; mais qu’il aurait au
contraire toutes les chances de nuire à l’influence dont il bénéficiait. Car,premièrement, les candidats pour le poste de président de la république
n’avaient pas, pour la plupart, de programme cohérent, clair et concret visant
à améliorer la vie des femmes, et que même s’ils avaient pensé en ces
termes, ils ne l’avaient pas partagé avec la population. Deuxièmement, notre
société avait appris par expérience, à plusieurs reprises, que voter pour les
bons « caractères  » au lieu de voter pour les programmes n’était pas
avantageux. Troisièmement, si nous raccrochions toute notre énergie et
toute notre force à la seule question des élections, nous n’aurions non
seulement pas pu former le mouvement autonome actuel mais, Ã mon avis,
nous aurions nourri la même culture traditionnelle et stérile qui, pendant plus
d’un siècle, donna crédit au « culte de la personnalité  ». C’est-à -dire au
fantasme que des personnalités politiques décentes accèdent au pouvoir et
fassent quelque chose pour nos femmes. Habituellement, quand les
dirigeants arrivent au pouvoir, ils ne peuvent rien faire, ou peut-être dans les
meilleurs des cas, ils évitent d’empirer les choses et d’ouvrir ainsi involontairement des espaces pour les femmes.
Les options traditionnelles habituelles étaient présentes dans des conditions
où, heureusement pour les femmes, le cadre particulier d’avant les élections
en 2005 avait créé une occasion exceptionnelle qui permettait vraiment des
actions « indépendantes  ». De plus, même s’il s’agissait de profiter dans le
futur des espaces ouverts par certains groupes (les réformateurs), pourquoi
aurions-nous dà » nous passer du climat favorable existant dans l’espoir d’un
futur incertain ? Il était en effet possible que nous fussions punies et giflées à cause de nos transgressions et de nos actions féminines indépendantes.
Pourtant, malgré ces possibilités et ces doutes, les options présentes et leurs
coà »ts, nous avons décidé en fin de compte que « mieux vaut un présent que
deux futurs  » (Mieux vaut recevoir une gifle aujourd’hui que des douleurs
demain).
Un autre choix aurait été, comme l’ont fait certains groupes, d’attendre les
résultats sans provoquer d’action. Mais nous, le mouvement des femmes (i.e.
les féministes non idéologiques), nous avons choisi une option qui nous
permettait de dire ce que nous avions à dire de manière autonome en utilisant
intelligemment les opportunités politiques et électorales, et nous avons réussi
avec succès à le faire. Ainsi, en coopérant et en se rapprochant autour
d’intérêts multiples et de réflexions communes, tous les groupes féminins ont
profité du climat électoral de 2005, et nous avons organisé une grande
assemblée historique devant les portes de l’université de Téhéran.
Ce rassemblement historique a eu lieu le 12 juin 2005 (22/3/1384) et a été
conduit avec habileté, savoir-faire et sérénité par le mouvement des femmes.
Le succès de ce rassemblement de plusieurs milliers de personnes devant les
portes de l’université de Téhéran a aidé beaucoup de femmes, surtout les
femmes actives dans les domaines sociaux, en leur offrant expérience et
confiance en soi ; et pour la première fois, il a attiré l’attention positive de
l’opinion publique sur les luttes non-violentes des femmes en tant que
« mouvement  ».
Nous, les femmes, avions réussi à faire l’expérience d’une action commune et
historique qui ne relevait pas des partis et des mouvements politiques et qui
s’appuyait uniquement sur nos capacités propres. Cet événement a eu une
telle influence sur le mouvement des femmes et dans l’opinion publique de la
société civile du pays, que ce jour du 12 juin a fini par être connu en tant que
« la journée de la solidarité des femmes iraniennes  ». Depuis ce jour, chaque
année à la même date, les activistes du mouvement des femmes organisent
des rassemblements.
À ce stade et étant donné la capacité et le potentiel enrichi du mouvement des
femmes, nous avions réussi à profiter du cadre électoral, sans entrer
directement dans le discours officiel des élections. Grâce à ce rassemblement
du 12 juin, le mouvement des femmes a pu avoir une visibilité plus étendue et
bénéficier d’une influence plus large. Par la suite, le rassemblement du 12 juin
2006 sur la place 7-tir5 et l’émergence de la campagne « Un million de
signatures  » ont popularisé le discours égalitaire du mouvement des femmes,
à tel point que pour les élections de 2009, le mouvement des femmes était
prêt, confiant et autonome, capable d’entrer directement dans les débats préélectoraux
et d’agir en tant que force influente et indépendante au profit des
femmes, sans peur de se dissoudre
Commentaire de Parastou Dokouhaki : Le succès du rassemblement du 12
juin 2005 a été une surprise pour les activistes du mouvement des femmes.
Elles ne s’attendaient pas à un tel enthousiasme de la part de la population.
Les moyens de communication étaient restés les mêmes : les sites et les
réseaux informels se chargeaient de faire passer le mot. Mais l’intention claire
des organisatrices au sujet de leurs revendications – manifester contre la
discrimination contre les femmes – a su dépasser le cercle des habitués de
ces rassemblements et impliquer une plus large audience.
Les élections de 2009 : période culminante du mouvement des femmes dans
le domaine légal
Noushin Ahmadi Khorasani : Quatre ans après l’événement marquant du
mouvement des femmes (le rassemblement du 12 juin 2005), le jour des
élections en 2009 coïncida avec l’anniversaire de celui-ci. En agissant
intelligemment et avec un programme, nous allions certainement pouvoir
préparer le terrain pour de futures activités autonomes du mouvement des
femmes. Surtout que les politiques agressives et machistes du neuvième
gouvernement (le mandat d’Ahmadinejad de 2005 à 2009) avaient
naturellement préparé le terrain pour un consensus massif au sujet de la
formation d’un mouvement général. Au mouvement des femmes, nous
sommes revenues sur nos expériences passées et nous nous sommes
rendues compte qu’en nous basant sur nos précieuses expériences, nous
pouvions utiliser le cadre des élections et le climat d’ouverture créé par
l’ambiance électorale afin de profiter de ces moments historiques pour
développer notre lutte autonome et féminine, malgré les pressions sécuritaires
qui étaient exercées contre le mouvement des femmes. Nous allions ainsi
pouvoir ouvrir, en nous aidant les unes les autres, des brèches dans le cadre étroit des lignes rouges électorales.
De nouveau, nous avons réussi à créer une alliance large et dynamique sous
le nom de « La coalition du mouvement des femmes pour présenter nos
revendications pendant les élections  ». Cette coalition qui a commencé ses
activités par une approche « centrée sur les revendications  » a réussi dans
l’espace court de deux mois à faire accepter ses demandes dans les bureaux
de campagnes des candidats à la présidence, cela grâce au relais de ses
membres volontaires. L’efficacité des actions rapides, la pression exercée par
les activistes de la coalition et leur vaste lobbying étaient tels que la majorité
des candidats se sont vus contraints de présenter des « programmes
distincts » concernant les femmes, qui expliquaient leurs positions sur les
droits des femmes et leurs projets pour les faire valoir. Ce fait était vu comme
un très grand succès pour le mouvement des femmes.
Parastou Doukohaki : La réalisatrice Rakhshan Bani E’etemad a dirigé un
documentaire (Nous sommes la moitié de la population d’Iran) qui montre trois
des candidats à la présidence en 2009 se faisant présenter les problèmes et
les demandes des femmes par la réalisatrice. Le documentaire est disponible
sur internet et a été distribué gratuitement et sans droit d’auteur en Iran
Noushin Ahmadi Khorasani : Les volontaires militant au sein de la coalition
du mouvement des femmes ont également distribué en grand nombre des
feuillets informatifs qui présentaient les deux revendications essentielles du
mouvement des femmes : la révision de la constitution, et la ratification de « la
Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard
des femmes  ». Simultanément, ces volontaires ont organisé des séminaires et
des ateliers à Téhéran et dans les capitales des départements. Ces actions
ont été vastes et ont surpassé nos espoirs. Elles ont précédé les cérémonies
annuelles du 12 juin (jour de solidarité avec les femmes iraniennes) qui pour
la cinquième année de suite ont eu lieu dans les rues, avec des slogans
comme « Nous voterons pour les revendications des femmes  » et la
distribution de cahiers informatifs et explicatifs aux citoyens.
De la sorte, nous avons réuni nos expériences des différentes campagnes. En
formant « la coalition du mouvement des femmes pour les élections  » nous
avons agi en force indépendante et influente sur la scène électorale.
La situation actuelle du mouvement des femmes, depuis le mouvement vert
Noushin Ahmadi Khorasani : Après la dixième élection présidentielle et les
événements extraordinaires qui ont suivi6, nous avons été témoins de la
naissance du phénomène que l’on appelle « le mouvement vert  ». Il s’agit
d’un mouvement général, actif et vaste qui, au-delà de la volonté et du pouvoir
du mouvement des femmes, a changé les équations politiques, ainsi que le
comportement social de la grande majorité des mouvements de la société
civile. Conséquemment, les activistes des mouvements sociaux ont été
obligés de réviser et redéfinir leurs actions et leurs approches. C’est-à -dire
qu’avec la naissance du mouvement vert, et sous son ombre imposante – qui
recouvre l’Iran dans son entier – il n’est plus possible aujourd’hui d’accrocher
son espoir aux anciennes méthodes : la nécessité d’entreprendre de
nouvelles démarches est flagrante.
Par ailleurs, nous savons que les femmes iraniennes, indépendamment de
leur âge, de leur appartenance politique et de leur croyance, sont actives dans
ce mouvement (vert). Si nous laissons pour compte ce grand groupe de
femmes, actives dans le mouvement vert et qui paient le prix fort pour leur
implication, et définissons nos activités indépendamment du climat social
actuel, c’est-à -dire si nous agissons de manière communautaire, nous allons
non seulement échouer à défendre les intérêts des femmes, mais en plus
nous n’allons certainement pas avoir de crédit dans le futur pour pouvoir agir
dans quelque direction que ce soit. C’est-à -dire qu’en faisant le mauvais
choix, nous allons perdre notre crédibilité pour influencer le public que nous
ciblons. La crédibilité des mouvements sociaux auprès de leur auditoire cible
est nécessaire pour pouvoir faire entendre les revendications et
éventuellement répondre aux besoins de ceux que ces mouvements visent ;
sans cela, ils ne seront que des individus marginalisés et sur le qui-vive, sans
interlocuteurs, ni influence. Ceci est vrai pour tous les mouvements sociaux et
civils. Quand nous avons commencé nos activités dans la campagne « Un
million de signatures  », les activistes d’autres mouvements sociaux qui nous
ont aidées ont gagné en crédibilité et en influence auprès du mouvement des
femmes et de la société féminine. Aujourd’hui, si les militantes du mouvement
des femmes sont impliquées dans le mouvement vert – qui est actif et en
évolution et a en outre besoin de l’aide de tout le monde –, si les militantes lui
viennent en aide pour éviter et harnacher la violence naissante, elles pourront
sans doute gagner en crédibilité et en influence dans ce mouvement. Et c’est
ainsi qu’elles pourront faire avancer la cause des femmes.
Commentaire de Parastou Dokouhaki : Les rares rencontres dans les
forums internationaux avec les féministes des autres pays font apparaître les
différences entre les pays du Sud et les pays du Nord dans le domaine des
luttes féministes. Alors que des questions comme celles de l’environnement
font partie des sujets de débat chez les féministes des pays du Nord, la
pression pour changer des choses encore assez fondamentales chez les
féministes des pays du Sud les rapprochent les unes des autres, mais les
éloignent d’un féminisme idéaliste difficilement atteignable à court terme dans
leur pays. L’expérience et les combats des groupes homosexuels pour faire
valoir leurs droits et faire changer les lois et les mentalités paraissent plus
proches du quotidien des féministes iraniennes que les préoccupations des
féministes des pays « développés  ».
Noushin Ahmadi Khorasani : Sans doute, toutes les militantes du
mouvement des femmes se soucient de protéger les intérêts des femmes
dans le mouvement vert et s’inquiètent de ce que ce dernier n’oublie les
intérêts des femmes dans son cheminement à venir. À mon avis, la protection
des intérêts des femmes n’est possible que si les féministes s’associent au
mouvement vert. Certaines des activistes du mouvement des femmes
s’inquiètent de ce que les femmes s’associeraient de nouveau à un
mouvement qui, plus tard, pourrait miner leurs demandes et leurs intérêts.
C’est une préoccupation justifiée. Pourtant, à mon avis, il est important de
reconnaître, que cela nous plaise ou non, que de nombreux groupes de
femmes sont partenaires de ce mouvement. L’absence d’un petit nombre de
militantes professionnelles du mouvement des femmes ne changera rien et
n’empêchera pas les femmes de se faire avoir plus tard par le mouvement qui
minera les revendications. Dans ces conditions, notre devoir en tant que
militantes du mouvement des femmes est peut-être celui d’avoir une présence
effective dans le mouvement vert et d’avancer les revendications des femmes
le temps voulu. Il faut pourtant rappeler que la volonté du mouvement vert, du
moins tant qu’il n’est pas entré dans les sphères pyramidales du pouvoir et de
la politique pure et qu’il tourne autour de la « reconnaissance du droit de vote
des citoyens  » et « des élections libres  », est sans doute également celle du
mouvement des femmes. Les femmes ont eu des expériences historiques
amères, lors desquelles malgré leur présence dans des mouvements de
revendication de droits civils, elles ont été exclues de la définition de
« citoyen  », mais c’est, à mon avis, spécifiquement le rôle des militantes du
mouvement des femmes de ne pas laisser ce type d’événement se répéter,
par leur présence et leur appui à ce mouvement. Pour ce faire, il est
nécessaire que les femmes soient actives dans toutes les branches du
mouvement vert. Tout mouvement social comporte différents champs d’action
comme la création du discours, le leadership, le soutien, les actions, les
manifestations de rue, etc. Si les femmes se limitent, comme les dernières
fois, aux secteurs du soutien et des manifestations de rue, et ne sont pas
actives dans les domaines de la création du discours et du leadership, il est
possible que les questions des femmes soient à nouveau mises de côté. En
fait, les femmes ont toujours été actives dans le corps plus vaste des
mouvements sociaux, mais rarement dans les domaines de la création du
discours et du leadership, et c’est pourquoi elles n’ont pas réussi à bénéficier
des fruits de ces mouvements. Si les activistes et les penseuses femmes ont
une présence efficace et influente dans les différents secteurs des grands
mouvements sociaux, elles acquérront graduellement de la crédibilité et de
l’influence qui leur seront utiles dans les moments critiques : quand il sera
temps de partager les gains elles pourront ainsi protéger les intérêts des
femmes.
Parastou Dokouhaki : Le mouvement vert chapeaute aujourd’hui presque
toute l’opposition ainsi que les mouvements de défense des droits humains.
Les militants des droits de l’homme et les militants des droits des femmes
sont parmi celles et ceux qui ont été arrêtés depuis l’été sous différents
prétextes. Les activités autonomes des groupes et des mouvements
féministes semblent s’être arrêtées et être devenues invisibles depuis les
événements de l’été 2009.
Traduction du persan par Shiva Rouholamini
1 Voir http://iranfemschool.biz/english/
2 Voir http://www.we-change.org/english/
3 Voir “écriture de femme†en persan ici : http://notes.parastood.ir/
4 Gheyr-e khodi se traduit littéralement en « celui qui n’est pas de nous  ». L’expression a été
élaborée par les conservateurs et elle est largement utilisée pour diviser la population et les
activistes entre « bons  » (khodi) et « mauvais  » (gheyr-e khodi). La ligne qui les départage est
plutôt flexible selon le contexte social et politique et dépendant des tendances politiques. Elle
peut désigner des opposants armés aussi bien que tous ceux qui ne soutiennent pas activement
le régime.
5 Place publique à Téhéran. Le 7-tir renvoie à la date anniversaire d’un attentat commis en 1981
qui a coà »té la vie à 73 membres du Parti de la République Islamique, députés et ministres, dont
Ayatollah Beheshti le chef de la cour suprême et la figure la plus importante de la révolution après
Khomeiny.
6 La contestation de la réélection de Mahmoud Ahmadinejad et la dénonciation de fraudes
électorales ont donné lieu durant le mois de juin 2009 à des manifestations géantes rassemblant
plus d’un million de personnes à Téhéran et ailleurs dans le pays, qui ont été réprimées par les
forces de sécurité. Ce soulèvement, qui a connu des suites durant l’automne et l’hiver 2009, a été
étouffé par le pouvoir à travers l’arrestation massive de manifestants, de cadres du mouvement
réformateur et de leaders de la société civile.
Voir en ligne : Altérités