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Les Femmes que nous sommes / Shirin Bahramirad

translated by : Marthe Gonthier

samedi 16 mars 2013, par admin

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FeministSchool : Discours de Shirine Bahramirad àl’exposition d’Amnesty International intitulée « Gardons le CÅ“ur de l’Iran en vie  » le 8 mars 2013, Miesbach :

Ce soir, je voudrais vous expliquer que les problèmes des femmes en Iran ne sont pas aussi tranchés qu’ils le semblent, comment nous nous arrangeons pour conserver une partie de nos droits et comment le gouvernement conserve son emprise sur nous.

Mais je vais commencer par une anecdote.

En Iran, les droits de sortie du territoire, de travailler, d’étudier, de divorcer et de garde des enfants n’appartiennent qu’aux hommes. Beaucoup de femmes l’ignorent jusqu’àce qu’elles rencontrent un problème et elles ignorent alors qu’il existe des solutions légales pour résoudre leur problème. Grâce au travail des groupes féministes, mon mari et moi avons appris que nous pouvions ajouter des clauses ànotre contrat de mariage pour éviter cela, mais nous en ignorions la terminologie exacte. Nous avons donc contacté deux militantes féministes de premier plan Noushine Ahmadi Khorassani, qui est par la suite devenue l’une de mes amies les plus chères et Shadi Sadr. Elles nous ont envoyé des textes avec la terminologie adéquate. Ce n’était cependant pas suffisant ; il existe également des conditions : que tout soit écrit et signé dans un bureau d’enregistrement pour être opposable devant un tribunal, parce que ces droits ne sont pas considérés comme naturels et l’époux doit les transférer àson épouse durant une période déterminée (pour nous, 50 ans). Le notaire et l’employé du service de l’état civil ont tenté d’empêcher Bavand de le faire. Ce fut la première influence du militantisme féministe dans ma vie et depuis lors, j’ai milité.

A l’occasion de la journée internationale pour l’élimination de la violence contre les femmes (25 novembre 2010), Noushine a suggéré que nous confectionnions des marque-pages et je devais en illustrer certains. Noushine voulait des photos de différentes personnes, des jeunes et des vieux, des hommes et des femmes, des religieux et des laïcs, des conservateurs et des modernistes, qui devraient tous écrire une phrase dans la paume de leurs mains pour protester contre ces violences. Elle voulait démontrer qu’en dépit d’attitudes différentes, tous pouvaient soutenir cette cause. Et les photographes devaient tirer le portrait de gens ordinaires, pas de célébrités ou de personnes de premier plan.

J’ai une grande famille qui se rassemble tous les 15 jours dans la maison de ma grand-mère. Nous sommes environ 40 : nous sommes proches en esprit mais de caractères très différents. Ce soir-là, tandis que nous bavardions, j’ai compris que c’était une bonne occasion de prendre des photos. J’ai expliqué ce que je voulais faire àmes cousins, mes oncles et tantes et mes parents en demandant leur permission. Mes parents et deux de mes cousins plus âgés se sont portés volontaires. L’une de mes tantes voulait qu’on prenne son jeune fils en photo et il a commencé àcroire en ce qu’il défendait auparavant. Je les ai conduit un par un dans un coin de la maison où mon mari écrivait une phrase dans la paume de leurs mains et je les ai pris en photo pour montrer leurs paumes au monde. Tous nous entouraient en nous disant : « Tiens-toi comme ça, tiens ta main comme ceci, met ton foulard, retire ton foulard, etc  » et la soirée a continué. On peut encore voir certaines de ces photos ici.

Une des photos que l’on retrouve sur les sites féministes et sur la couverture d’un livre appartient àSara qui a 33 ans maintenant. Son père est un fondamentaliste qui la réveillait pour les prières du matin. Il ne lui a pas permis d’étudier àl’université pendant un an parce que l’université se trouvait dans une autre ville. Elle voulait que sa photo paraisse sur les marque-pages pour s’opposer àson père. Maintenant, elle travaille et je suis sà»re qu’elle ne récite plus ses prières et qu’elle lit des livres et des articles féministes.

Une des autres photos est celle de ma mère ; elle a toujours été très pratiquante. Avant la révolution, elle a été expulsée de l’école plusieurs mois car elle refusait de retirer son foulard àl’école. Son père ne lui a pas permis, ni àmon autre tante, d’étudier àl’université car ce n’était pas convenable pour des filles. Elle m’a eu ainsi que mes deux sÅ“urs avant ses 30 ans. Elle est entrée àl’université la même année que moi. Elle dirige actuellement un foyer pour enfants où elle prend soin de 15 garçons ; elle en a adopté deux.

Une autre de ces mains appartient àAli, 24 ans, qui vient d’épouser sa petite-amie, ce qui ne serait pas arrivé dans cette famille vingt ans plus tôt. La mariée a dit en plaisantant que le marque-pages serait pendu au mur pour qu’il le voie le reste de sa vie.

Comme vous le voyez, les choses ont changé et continuent de changer mais cela n’a pas été simple. La famille, les institutions gouvernementales et les militants ont joué un rôle dans ces changements. Voici une anecdote que je vais tenter de vous relater.

Environ deux ans après la révolution iranienne de 1979, la guerre Iran-Irak avait commencé. Le gouvernement de la république islamique avait déjàrendu le hijab obligatoire pour les femmes. La révolution culturelle avait commencé, « nettoyant  » les universités de ses étudiants et professeurs occidentalisés. L’université a été et est encore àl’origine de la plupart des oppositions politiques. Les universités ont été complètement fermées pendant deux ans. Ensuite, les étudiants ont dà» passer au travers des mailles d’un comité de sélection établi dans toutes les universités. Bien sà»r, les femmes n’étaient pas vraiment bienvenues. Elles pouvaient ne pas passer le filtre du comité par exemple parce qu’elles étaient « mal voilées  ». Beaucoup de cursus, considérés comme non convenables, leurs étaient interdits. Les garçons et les filles n’avaient pas le droit de se parler et leurs échanges se limitaient àl’échange de notes prises pendant les cours dans les couloirs. Et pourtant, le nombre de femmes àl’université a beaucoup augmenté sous le nouveau régime et elles ont vite été plus nombreuses que les hommes.

La ségrégation des sexes et les restrictions imposées aux femmes s’appliquaient également dans les écoles et dans la rue. La police de moralité était partout et arrêtait les femmes dont les cheveux n’étaient pas correctement couverts. Les réunions de famille se tenaient avec précaution pour que les gardes révolutionnaires ne les découvrent pas, hommes et femmes y étant mélangés.

A cette époque, les groupes féministes n’agissaient pas publiquement. Le nouveau gouvernement islamique avait exécuté tant de membres des partis politiques qui avaient joué un rôle dans la révolution que personne n’osait tenir de rassemblement public. Les groupes de femmes étaient surtout des cercles privés. Leur activité la plus remarquable était la tenue d’une commémoration annuelle le 8 mars au domicile d’une des membres. Il y avait aussi des réunions mensuelles qui consistaient en projection de films, lecture de livres ou en discussions sur les idées féministes. Les oratrices les plus connues en étaient Shirine Ebadi, Mansoureh Ettehadieh et Mehranguiz Kar.

Après une période de reconstruction sous la présidence de Rafsandjaini, Khatami entra en fonction en 1997. C’était le candidat du parti réformateur, et, bien qu’étant clerc, il ouvrit le pays au militantisme. Les militants du droit des femmes ont finalement pu défendre leurs demandes de façon plus explicite. On trouva des espaces publics pour débattre des réglementations. Le nombre d’associations, de journaux et d’éditions féminines augmenta. A l’université, les études sur les femmes et la différentiation des sexes firent leur apparition et la toute première commémoration publique et légale de la journée internationale de la femme a été organisée le 8 mars 2000, ce qui eut pour effet la création du centre culturel féminin. Ce centre devint célèbre pour son approche innovante : manifestation et éducation concomitantes, ce qui par la suite servit de modèle àla campagne Un Million de Signatures.

Le centre a commencé par demander publiquement au gouvernement de ratifier sans condition la Convention sur l’Elimination de toute forme de Discriminations contre les Femmes, exprimée dans leur première lettre d’information appelée la Lettre de la Femme. Ce fut la première lettre ouverte signée par des militants du droit des femmes. Le centre culturel des femmes a commencé àrecueillir les signatures de tous, militants ou non et àorganiser des ateliers d’éducation.

Le gouvernement de Khatami a envoyé, en vain, la Convention àun parlement dominé par les conservateurs. Il y eut des manifestations organisées par les forces conservatrices et les jeunes clercs de Qom, le Vatican iranien, qui s’opposaient àla Convention.

Les militants du droit des femmes ont continué àfaire feu de tout bois pour rejoindre la Convention. Le 8 mars 2003, le centre a organisé une manifestation au parc Laleh de Téhéran, parmi les orateurs, Shirine Ebadi, Noushine Khorassani et Shadi Sadr, pour protester contre le rejet de la Convention par le parlement. Lorsque Shirine Ebadi a gagné le prix Nobel plus tard cette année-là, le projet de ratification a gagné davantage de soutien.

Malgré tous ses efforts, Khatami n’a pas réussi àfaire voter la ratification de la Convention par le parlement. Le sujet refit surface en 2009 lorsque la Coalition des Forces Féminines fut formée. C’était juste avant l’élection présidentielle de 2009 lorsque le contrôle culturel très serré s’est relâché temporairement. Les militants du droit des femmes ont saisi l’opportunité pour promouvoir leur point de vue. Noushine Ahmadi Khorassani a inauguré le Mouvement de la Convergence en demandant àdivers groupes féministes de soutenir les candidats qui acceptaient d’incorporer les demandes des femmes dans leurs programmes politiques. La ratification de la Convention était l’une des principales demandes. Avec l’assignation àdomicile des candidats favorables au mouvement, l’espace de liberté s’est de nouveau refermé.

L’ère Ahmadinejad aura été l’une des plus sombres pour les militants du droit des femmes depuis la révolution. La séparation des sexes àl’université a refait surface et s’est accéléré sous la pression du gouvernement. Dans certaines universités les filles et les garçons ont cours àdes jours différents et beaucoup de professeurs laïcs ont été poussés vers la retraite.

Dans un geste soi-disant progressiste, Ahmadinejad a nommé, pour la première fois depuis la révolution, une femme, le Docteur Vahid Dastjerdi àla tête du ministère de la santé et de l’enseignement médical. Il est assez amusant de constater que son attitude envers la santé et le bien-être de la femme a été la plus sexiste jamais constatée. Elle a proposé la séparation des sexes àl’hôpital, s’est opposée àla Convention et est revenue sur la politique de contrôle des naissances menée depuis la guerre.

Le gouvernement d’Ahmadinejad a essayé de faire voter la loi de protection sur la famille. Cette soi-disant « réforme  », surtout la section qui traite de la polygamie, a suscité une grande opposition des militants du droit des femmes. Ce projet suggérait que le mari n’avait pas besoin de la permission de la première épouse pour se remarier, il lui suffisait de prouver au tribunal qu’il en avait les capacités financières. Cette section du projet a été retirée sous les vives critiques des militants, des juristes et des journalistes.

Un autre projet de loi traitait de l’émission de passeport pour les femmes. Jusque-là, les femmes célibataires pouvoir obtenir un passeport et se rendre àl’étranger alors que les femmes mariées, quel que soit leur âge, avaient besoin de l’autorisation de leur mari pour déposer une demande. Le projet de loi initial tentait d’interdire aux célibataires de moins de 40 ans d’obtenir un passeport sans la permission officielle de leur tuteur, père, grand-père paternel, oncle ou juge religieux. Les militants du droit des femmes et de la société civile n’ont pas mis longtemps às’y opposer. Le projet a donc été révisé et la limite d’âge a été retirée : aucune femme de plus de 18 ans n’avait le droit de quitter le pays sans l’autorisation de son tuteur, ce qui fut également critiqué et le projet a finalement été rejeté par le parlement.

Pour conclure, retour àla réunion familiale chez ma grand-mère. Il est maintenant clair, je l’espère que des filles comme Sara ne sont pas des exceptions. Les pères les plus conservateurs peuvent de nos jours permettre àleurs filles d’étudier dans une université lointaine parce que l’éducation est culturellement très importante pour les parents, et se faisant, la jeune-fille se met hors de portée du contrôle familial. Les grandes villes comme Téhéran permettent àdes filles comme Sara, qui a fini par poursuivre ses études, de voir d’autres femmes jouir de leurs droits, ce qui les aide àéchapper àla vie que leurs pères avaient prévue pour elles ! Ces changements sont possibles grâce àune combinaison de facteurs. La lutte féministe pour le changement des lois, pour l’éducation et pour présenter leurs demandes encore et encore y joue un grand rôle.

Ma mère croit encore en son hijab. Pour elle, il ne s’agit pas d’une loi du gouvernement. C’est sa religion et sa propre décision. Par définition, elle n’est pas féministe. Mais elle nous a appris àfaire ce que nous pensions être bien. On ne nous a jamais forcé àporter le hijab ni àpratiquer la religion. Elle nous a toujours poussées àêtre indépendantes, àétudier et àtravailler pour que nous ne dépendions pas de nos maris. L’éducation supérieure n’était pas une option, c’était une obligation. En entrant àl’université alors que nous étions déjàadolescentes, elle nous a prouvé qu’on pouvait avoir une maison pleine d’enfants et continuer ses études en même temps. Elle s’occupe àprésent de 15 garçons, porte toujours le voile et récite toutes ses prières.

Ce que je veux dire c’est que ma mère et Sara n’étaient pas les seules àréussir àbriser les barrières et àatteindre leurs buts dans un pays où la répression des femmes est soutenue par la loi. Il y a des millions de femmes qui, malgré toutes les restrictions qu’on leur impose, ont vécu leurs rêves sans avoir àrejeter catégoriquement un style de vie traditionnel ou àtrahir leur religion. Il y en a d’autres qui sont aussi laïques que vous. Tout cela est possible grâce aux efforts des militants des droits des femmes comme celles dont vous voyez aujourd’hui les affiches.

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